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ECG POUR LES NULS

L’E.C.G pour les nuls
Yannick GOTTWALLES
8 - Les pièges électriques
Comme nous l’avons vu dans les précédents numéros d’Urgence Pratique, l’interprétation
d’un électrocardiogramme fait appel à des connaissances d’anatomie, de
physiologie, d’électrophysiologie, de pathogénie, et doit s’intégrer dans une démarche
diagnostique autour du patient.
Cependant cette démarche est dépendante de la qualité de l’enregistrement
et du respect des règles de base de réalisation. Ces éléments
sont aisément maîtrisables avec un peu de pratique, mais il persiste une
remarque qui parfois est occultée dans nos esprits : plus que jamais,
notre logique sera dépendante d’une machine. Pour illustrer cela, regardons
le tracé 1 : à priori, il y a une onde P devant chaque complexe,
le rythme semble régulier, le PR est constant mais supérieur à 1 grand
carreau, les QRS sont fins, il n’y a pas d’aspect M en V1, DI et DII sont
positifs, le ST est isoélectrique, et les ondes T sont toutes positives (sauf
en aVR, ce qui est normal). Le tracé peut donc être considéré comme
dans les limites de la normale, mais avec un PR allongé. Mais, s’agit-il
d’un rythme sinusal régulier (RSR) à 46 cycles par minute avec BAV
du premier degré (PR à 0,40 seconde), ou s’agit-il d’un patient en RSR
à 92 par minute sans BAV du 1er degré avec PR à 0,20 s enregistré à
50 mm/seconde ? Les 2 réponses sont valables, et personne ne pourra
transiger sans avoir les instructions et inscriptions d’enregistrement.
Les implications thérapeutiques peuvent être importantes en fonction
du contexte.
Le tracé 2 donne la solution, comportant la vitesse d’enregistrement
et la calibration utilisées. Il s’agit bien d’un RSR avec bradycardie à 46
/ mn, et BAV du 1er degré, le PR étant à 0,40 s.
Pour la suite de l’exposé, le tracé 3 sera le tracé de référence d’un
patient sain ; nous allons décliner à partir de ce dernier, les divers
incidents d’enregistrement possibles, et analyser leurs répercussions
sur l’enregistrement.
Tracé 1 : BAV 1° ou RSR sans BAV enregistrée à 50 mm/s ?
Tracé 2 : Même enregistrement que le tracé 1 avec vitesse et calibration qui définissent le tracé.
Tracé 3, de référence, d’un sujet sain.
LES PIÈGES DE RYTHME CARDIAQUE
La détermination du rythme cardiaque est essentielle dans la chronologie
de l’interprétation d’un tracé. Un tracé standard utilise une
vitesse de défilement de 25 mm/s, permettant de calculer la fréquence
cardiaque par la règle des 300/150/100/75/60 (Urg Prat 88).
Les tracés 4 montrent quoi ? Pour A, êtes-vous d’accord avec tachycardie
supra-ventriculaire à complexes fins, à 325 cycles/mn ? Est-ce un
Tracés 4 A, B et C (sur la page suivante) : que voyez-vous ?
A B
PÉDAGOGIE DE L’ECG
URGENCE PRATIQUE - 2009 No94 58
accès de maladie de Bouveret ? Pour le tracé B, tachycardie sinusale à
162 cycles/mn ? Pour le tracé C, tachycardie sinusale à 130 cycles/mn ?
Toutes ces réponses sont justes et fausses en même temps car aucune
référence à la vitesse d’enregistrement n’est notée. En fait, il s’agit du
même tracé enregistré en A à une vitesse de 5 mm/s, en B à 10 mm/s,
et en C à 12,5 mm/s. La fréquence est toujours la même à 65 cycles/mn,
ce n’est que le défilement qui varie. Bien entendu, la prise en charge
d’un accès de Bouveret ou d’une tachycardie sinusale, ou d’un RSR
n’est pas du tout identique.
LES PIÈGES DE L’AMPLITUDE DU TRACÉ
Un enregistrement standard s’effectue à 10 mm pour 1 mV, avec une
calibration notée en début de tracé. Si cette calibration fait défaut ou
n’est pas réglée sur cette valeur, des perturbations peuvent survenir,
soit à type d’écrasement des complexes ou d’étirement de ces derniers.
Le tracé 5, enregistré avec une amplitude à 2,5 mm pour 1 mV, révèle
des complexes microvoltés évoquant un épanchement péricardique
voire une tamponnade. Apparaissent des dérivations quasiment plates,
notamment en périphérie (DIII ou aVF). Idem pour le tracé 6 sous une
calibration de 5 mm / mV.
C
Tracé 5 : enregistrement avec une amplitude de 2,5 mm / mV.
À l’inverse, les amplitudes supérieures à 10 mm / mV donneront des
tracés avec chevauchement des QRS, surtout en précordial, et feront
évoquer à tort des hypertrophies ventriculaires, voire des sus-décalages
débutants chez les patients jeunes avec un certain éréthisme
cardiaque (tracé 7).
Tracé 6 : enregistrement avec une amplitude de 5 mm / mV.
LES PIÈGES AVEC ASSOCIATIONS VITESSE
ET AMPLITUDE
Ces deux erreurs de calibration peuvent bien entendu se potentialiser,
comme cela est visible dans les tracés suivants (tracé 8 A et B). Le tracé
A est enregistré à une vitesse de 5 mm/s, avec une amplitude calibrée
à 20 mm / mV. Il en résulte un aspect de tachycardie rapide, à complexes
très fins, à plus de 300 par minute, évoquant une tachycardie
supra-ventriculaire très rapide. Un tel tracé est possible sous certaines
conditions (sujet très jeune, nouveau-né). Le tracé B semble plus plausible
et pourrait correspondre à un adolescent après un effort.
Tracé 7 : amplitude de 20 mm.
Tracé 8 A : vitesse de 5 mm/s et
amplitude de 20 mm / mV.
Tracé 8 B : vitesse de 10 mm/s et
20 mm / mV.
A
B
PÉDAGOGIE DE L’ECG
59 URGENCE PRATIQUE - 2009 No94
Parfois, l’aspect du tracé peut être moins choquant, et ce n’est que la
fréquence observée qui étonnera. Le tracé 9, avec double vitesse et
double amplitude, enregistre des complexes QRS d’aspect normal,
mais avec un possible BAV du 1er degré, et une bradycardie à 33 cycles /
mn. La repolarisation paraît suspendue notamment en inféro-latéral.
LES PIÈGES DE POSITION DES ÉLECTRODES
Les inversions d’électrodes sont fréquentes et régulières, mais sont
aisément décelables en respectant, et par conséquent en recherchant,
quelques règles de base que l’on peut appeler les règles de territoire.
Les complexes doivent être concordant entre eux, notamment dans
les territoires coronaires explorés.
L’interventriculaire antérieure qui irrigue la paroi antérieure du ventricule
gauche, correspond au territoire précordial : de V1 à V5 (voire
V6) il doit y avoir une progression régulière de R, et en parallèle mais
un peu retardée, une diminution de la profondeur de S. Un rabotage
de R en antérieur en possible en cas de séquelles d’infarctus, mais la
logique persiste et n’est que retardée avec un démarrage de R en V3
ou V4 (Urg Prat 88).
En clair,
• R en V1 est inférieur à R en V2 qui est inférieur à R en V3, qui est
inférieur à R en V4, qui est inférieur à R en V5, qui est inférieur à
R en V5, et
• S en V1 est plus profonde que S en V2, qui est plus profonde que
S en V3, qui est plus profonde que S en V4, qui est plus profonde
que S en V5, qui est plus profonde que S en V6
• ou plus schémat ique [R1<R2<R3<R4<R5] et
[S1>S2>S3>S4>S5>S6].
Tracé 9 : vitesse de 50 mm/s et amplitude de 20 mm / mV.
Le tracé 10 ne respecte pas cette logique : R1<R2<R3<R4=R5>R6
et S1>S2>>S3<S4<S5>S6. Ces anomalies sont dues à une inversion
de V3 et de V5, qui perturbent la logique de progression de R et de
régression de S.
Tracé 10 : inversion de V3 et de V5.
Le tracé 11 révèle une malposition d’une électrode un peu plus difficile
à visualiser mais très fréquente, à savoir R2>R3. Si une droite verticale,
parallèle à la colonne vertébrale est tracée dans l’espace, la bonne position
des électrodes se vérifie par une progression de V1 à V6 (schéma
Urg Prat 86). Les droites passant par V2 et V3 sont très proches l’une de
l’autre, mais V3 reste entre V2 et V4. Il ne s’agit pas réellement d’une
inversion d’électrodes, mais V3 est placée entre V1 et V2, le plus souvent
du fait de l’anatomie de la personne (sein, prothèse mammaire, …). À
l’extrême, une onde Q isolée en V3 est possible.
Dans les dérivations périphériques, DI et aVL (territoire latéral haut,
irrigué par l’artère circonflexe), les complexes QRS doivent se ressembler
de prêt, même aspect. DI positif et aVL négatif (ou l’inverse) n’est
pas possible physiologiquement.
Toujours en périphérie, DII, DIII et aVF (territoire inférieur, généralement
irrigué pas la coronaire droite). Les tracés 12 à 14 révèlent des inversions
d’électrodes par non respect des couleurs RNVJ.
Une inversion entre le Vert et le Noir (membres inférieurs droit et
gauche) ne donne quasiment pas de modifications au tracé (tracé 12).
Le tracé est dans les limites de la normale.
Tracé 11 : malposition de V3.
PÉDAGOGIE DE L’ECG
URGENCE PRATIQUE - 2009 No94 60
Une inversion des électrodes rouge et noire (membres supérieur
et inférieur droits) est plus flagrante avec un enregistrement quasiinexistant
sur DII, DIII, aVF, et microvolté en DI-aVL, comme le prouve
le tracé 13.
toutes des causes potentielles d’artéfacts inscrits sur le tracé. Ils sont en
général aisément reconnaissables par des parasites de la ligne de base,
plus ou moins amples, mais avec persistance d’un tracé ECG normal
surajouté à ces artéfacts. La mise en place d’eau comme conducteur
entre les électrodes et la peau, l’utilisation d’électrodes pré gélifiées,
l’utilisation de filtres, le fait de demander au patient de se relaxer, de
ne plus parler, … sont tous des éléments permettant de minimiser
ces interférences. Le tracé 15 est caricatural. Il s’agit d’un tracé fait à
titre systématique, préopératoire, chez un patient de 70 ans présentant
une fracture du col du fémur. Un diagnostic de flutter ventriculaire a
été évoqué. Mailles larges, régulières à 300 par minute en DI. Est-ce
possible ? Non, et pour de multiples raisons. La première est qu’un
flutter ventriculaire est rarissime, et en général dégénère en quelques
secondes en fibrillation ventriculaire. Devant tout ECG d’interprétation
difficile, il faut revenir aux bases. Voit-on des ondes P ? Le rythme
est-il régulier ? Les QRS sont-ils fins ou larges ? Ces 3 questions vous
donne la réponse.
Tracé 12 : inversion V et N.
L’inversion la plus aisée à reconnaître est celle reproduite sur le tracé
14, avec inversion des électrodes rouge et jaune (membres supérieurs
droit et gauche), puisque apparaît alors une discordance entre DII
– négatif -, DIII - positif -, mais surtout aVR se positive.
Tracé 13 : inversion R et N.
LES PIÈGES LIÉS AUX APPAREILS ENREGISTREURS
Deux principaux types sont à reconnaître dans cette catégorie, à savoir
les artéfacts et les erreurs d’interprétation (pour les appareils dotés d’un
module d’aide à l’interprétation).
Les artéfacts peuvent avoir des causes multiples. Contractions musculaires,
comitialité, maladie de Parkinson, maladie musculaire, hoquet,
interférence électrique, prise de mise à terre défectueuse, type de
courant, artéfact des 60 Hz, … et la liste est loin d’être exhaustive, sont
Tracé 14 : inversion R et J.
Voit-on des ondes P ? A priori non, du moins pas au premier abord.
Le rythme est-il régulier ? En précordial à priori oui.
Les QRS sont-ils fins ou larges ? En précordial, ils sont fins, avec une
fréquence à 74 cycles / mn.
Complexes fins, réguliers à 74/mn, c’est trop rapide pour une origine
ventriculaire (Urg Prat 91). Cela ne peut donc être que supra-ventriculaire
(oreillette ou noeud). Si cela est supra-ventriculaire, les mailles de
la ligne de base sont trop grandes pour être une fibrillation, et bien plus
organisée. Est-ce un flutter ou une tachycardie atriale ? Si oui, les rapports
entre ces ondes et les QRS en précordial doivent être identiques
d’un complexe à l’autre. Or si sur le 2e QRS en V2, cette onde est proche
du QRS, elle l’est moins pour le 3e QRS en encore plus distante pour le
4e complexe, donc cela ne colle pas. Un rythme QRS régulier avec une
activité supra-ventriculaire irrégulière ne peut pas exister.
Notre réflexion est par conséquent fausse. Reprenons alors notre première
question : Voit-on des ondes P ? Les ondes P sont classiquement
mieux visibles dans les dérivations périphériques, et le seul endroit qui
se rapproche le plus d’une trace lisible est DII. Les QRS sont réguliers
en précordial, ils doivent l’être en périphérie. Les complexes QRS sont
donc les ondes les plus amples que l’on devine en DII, entrecoupées de
2 ondes pointues plus petites, qui ont aussi l’air régulières mais à une
autre fréquence (environ 160/mn). Si les QRS sont réguliers à 74/mn, il
faut trouver une onde P avant. En regardant de prêt, le 3e QRS en DII
est précédé d’une onde P tout à fait nette, avec un PR à 0,16 s. Cette
onde P permet en fait de démasquer les autres ondes P qui précèdent
les QRS en DII, et qui s’ajoutent aux artéfacts autres. Trouver une onde
P sur un rythme régulier signifie que le rythme est sinusal. Il s’agit
effectivement d’un tracé en rythme sinusal régulier à 74 / mn, avec
Tracé 15 : artéfacts électriques avec complexes QRS réguliers visibles.
PÉDAGOGIE DE L’ECG
61 URGENCE PRATIQUE - 2009 No94


31/05/2010
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