Bull.
Soc. Path. Ex.,88,
1995, 164-169Mots-clés
: Paragonimus, Paragonimose, Crabes, Cashumains, Chien, Cameroun.
Key-words:
Paragonimus, Paragonimiasis, Crabs, Humancases,
Dog, Cameroon.ÉTUDE ÉPIDÉMIBLOGIQUE
D’UNE DISTOMATOSE
À PARAGONIMUS‘ SP.AU SUD-CAMEROUN
Par
G. OLLIVIER (l), M. BOUSSINESQ (2), J. L. ALBARET (3), N. CUMBERLIDGE (4),K.
FARHATI (3, J. P. CHIPPAUX (6) & C. BAYSSADE-DUFOUR (3) (7)Epidemiological study
on Paragonimus sp. in south Cameroon.Summary:
A study was carried out in 1993 in south Cameroon in order to assess the changes in the incidence rate ofhuman paragonimiasis, and to get information
on the transmission pattern of Paragonimus sp. Two human cases havebeen recorded, and one dog was found infected in the Ntem Valley. The results suggest that a decrease .of the incidence
rate of paragonimiasis occurred
in humans and animals. Paragonimus metacercariae were found in three species of freshwatercrabs:
Sudanonautes africanus, S. aubryi et S. granulatus, the latter being a new host. Prevalence of infectionin crabs increased southerly, and signifcant seasonal changes were found. Two cats were infested with metacercariae
from
S. africanus, and studies are in progress to identifv the parasite@) at a specific level.Résumé
: Une étude a été menée en I993 au sud-Cameroun en vue d’évaluer I’évolution de l’incidence de la paragonimosehumaine et de préciser les modalités de la transmission de
Paragonimus sp. Deux cas humains ont été dt‘pistés et unchien a kté trouvé infesté dans le bassin du Ntem. L’incidence de l’infestation chez l’homme et les animaux sauvages
semble avoir chuté durant la dernière décennie. Des métacercaires de
Paragonimus sp. ont ét& trouvées chez trois espPcesde crabes
: Sudanonautes africanus, S. aubryi et S. granulatus, cette derni8re constituant un nouvel hôte. Un gradientgéographique et des variations saisonnières du taux d’infestation des crabes ont été mis en évidence. Des mgtacercaires
provenant de
S. africanus ont permis Pinfestation expérimentale de deux chats et l’identification des parasites au niveauspécifique est en
cours.INTRODUCTION
En
Asie, la paragonimose constitue un problèmede santé publique et l’épidémiologie de la maladie
est
à l’heure actuelle bien connue. I1 n’en est pasde même en Afrique,
oÙ de nombreuses inconnuesdemeurent au niveau tant des espèces de parasites
que des différents hôtes
: les premiers hôtes intermédiairesn’ont pas été identifiés; en revanche, deux
genres de crabes seconds hôtes intermédiaires ont été
signalés
: Sudanonautes et Liberonautes.(1)
Institut Pasteur de Madagascar, Antananarivo, Madagascar.(2)
Centre Pasteur du Cameroun, BP 1274, Yaoundé, Cameroun.(3)
Muséum National d’Histoire Naturelle, Biologie Parasitaire, 61, rue(4)
Department of Biology, Northern Michigan University, MI 49855-(5)
Institut Sane et Développement, Parasitologie experimentale, 15-21,(6)
CERMES, BP 10887, Niamey, Niger.(7)
Manuscrit no 1656. Parasitologie. Accepte le 6 juillet 1995.Buffon, Paris.
5341,
USA.rue
de l’ÉCole-de-Medecine, Paris.,
i
La paragonimose humaine
a été décrite pour lapremière fois en Afrique intertropicale chez un enfant
camerounais (7).
Par la suite, le caractère endémiquede la maladie a été mis en évidence
à l’ouest duCameroun
(6, 8, 13, 18, 19, 27), au centre et au suddu même pays (13), au sud-est du Nigeria (1 1, 20),
en Côte d’Ivoire (9) et au Liberia (15). Une épidémie
de paragonimose pulmonaire est survenue lors de la
guerre civile du Nigeria de 1967 (10). Des cas sporadiques
de paragonimose pulmonaire ont été signalés
également au Zaïre, en Gambie, en Côte d’Ivoire,
en Guinée, au Gabon et en Guinée équatoriale.
Enfin,des cas de tumeurs sous-cutanées rétro-auriculaires
attribués
à Poikilorchis, genre proche de Paragonimus,ont été décrits au Zaïre, au Nigeria,
au BurkinaFaso et en Guinée.
L’étude de
la morphologie des métacercaires et desadultes et de la taille des oeufs éliminés par les patients
a
révélé que plusieurs espèces de Paragonimus existentFonds
Documentaire ORSTOMCote:
( 34~Y0 3 EX: 4-
BULLETIN DE
LA SOCIÉTÉ DE PATHOLOGIE EXOTIQUE 165f ”
r,
Q
en Afrique. deux nouvelles espèces,
P. africanus etP.
uterobilateralis, ont été décrites en 1965 (25). SeulP.
uterobilateralis a été observé au Liberia, enGuinée
(17) et au Gabon (24). Les deux espèces existentau Nigeria et
à l’ouest du Cameroun (23). Ausud-Cameroun, il semble que le parasite en cause soit
P.
africanus (13). P. westermani a également étésignalé au Nigeria
(12).A la suite de I’épidémie décrite au Nigeria en
1967,il a
été suggéré que l’incidence de la paragonimosehumaine pouvait être liée
à la situation socioéconomiquedes pays
(20). En Afrique, en effet, laconsommation de crabes d’eau douce est très occasionnelle.
Une dégradation du pouvoir d’achat peut
conduire les populations
à augmenter leur consommationde crabes et donc le risque d’infestation. Les
objectifs de la présente étude, menée de février
à septembre1993,
étaient de déterminer si l’évolution dela situation économique au Cameroun avait des répercussions
sur la prévalence de la paragonimose
humaine et de préciser les données épidémiologiques
dans trois foyers décrits précédemment
(13) : ceux dela Sanaga-Mbam, du Nyong et du Ntem.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Une recherche de cas humains de paragonimose
a été effectuée
à partir des registres des principalesstructures sanitaires des zones d’étude et par des
consultations organisées dans deux localités. Simultanément,
une recherche des animaux hôtes définitifs
potentiels et des récoltes de crabes
ont été effectuéessur un échantillon de villages.
Zones d’étude
(fig. 1)Dans le bassin de la Sanaga, les registres consultés
sont ceux des hôpitaux de Monatélé et de Saya et
du Service de la Médecine préventive et rurale
(SMPR) de Bafia. L’étude de terrain n’a été réalisée
que dans le seul village d’Ebong
(4’20’ Ny 11 ‘23 ’ E),situé sur un petit affluent de la Sanaga.
Dans le bassin du Nyong, l’étude des registres a
été effectuée
à l’hôpital et au laboratoire du SMPRde Mbalmayo. Quatre villages
ont été par ailleursexaminés
: Nkolsoumou (3’19’ Ny 11’24’ E), Nnemeyong(3’4‘ Ny
11’22‘ E),Obang (3’4‘ Ny 11’14’ E)et Falassi
(3’ 14 ’ Ny 11 ‘29 ‘ E). Ce dernier villageavait déjà été examiné par RIPERT
et al. (13).Dans le bassin de Ntem, les registres de l’hôpital
d’Enongal
ont été consultés. Deux villages, déjà examinéspar RIPERT
et al. (13)’ ont été sélectionnés pourl’étude de terrain
: Ako’Okas (2’57’ Ny 11’16’ E)et Bikpwae-Essazoe
(2’59‘ Ny 11’17‘ E).Recherche des cas de paragonimose humaine
Dans les hôpitaux de Monatélé et de Sa’a, nous
avons pu consulter les registres de
1985 à 1993. A- - -
--
GUINEE
,,
. EQUATONALE+ 12. ,1
b. EQUATORIALE~ 1I2 . Fig. 1. - Zone d’étude (les tr,iangles indiquent les villages05
des prospections ont été réalisées).Bafia, Mbalmayo et Enongal, les registres de
1980à
1993 ont été mis à notre disposition. Le personnelde ces laboratoires
a par ailleurs effectué entre marset septembre
1993 une recherche systématique desoeufs de douves dans les expectorations recueillies en
vue d’une recherche de bacilles tuberculeux.
Des consultations, s’adressant particulièrement aux
personnes présentant une
toux chronique, ont été organiséesà
Falassi et à Bikpwae-Essazoe. Le choix de cesvillages a été déterminé d’une part par le fait que des
enquêtes y avaient été menées précédemment
(1 3) etd’autre part par les taux d’infestation élevés observés
par nous-mêmes chez les crabes. Les expectorations,
recueillies chez chacun des patients présents
à la consultation,ont
été homogénéisées, centrifugées et examinéesle jour même au microscope. Par ailleurs, une
enquête coprologique a été effectuée chez les enfants
de Bikpwae-Essazoe. Les selles recueillies ont été examinées
selon la méthode de Kato.
Recherche des animaux hôtes définitifs potentiels
de
Paragonimus sp.Les chasseurs des villages d’étude
ont été invités àgarder
à notre disposition les animaux sauvages qu’ilsavaient abattus, notamment les Viverridés, les singes
et
les rongeurs, en vue de rechercher des adultes deParagonimus.
Les poumons des animaux ont été disséquésaux ciseaux en suivant l’arbre bronchique.
Le recueil et l’examen de selles d’animaux sauvages
et domestiques
n’ont été effectués qu’à Bikpwae-Essazoe. Les selles
ont été examinées selon la méthodede Kato.
..
-..Récolte et examen de crabes
Une collecte de crabes a été réalisée toutes les deux
semaines entre février et juillet
1993 dans chaque vil?3
166
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE PATHOLOGIE EXOTIQUE rlage. Après identification de l’espèce, faite d’après
les descriptions de CUMBERLE(D3G-3E, les crabes dont
la largeur de la carapace était supérieure
à 20 mmétaient disséqués afin de rechercher les métacercaires.
Une étude préliminaire
a été réalisée afin de déterminerla répartition des métacercaires chez les crabes.
A cette fin, 40 crabes de l’espèce
Sudananautes africanusont été disséqués, en séparant les muscles thoraciques,
les péréiopodes, les chélipèdes, l’hémolymphe
et les branchies. La plupart des métacercaires
ayant été observées au niveau des muscles thoraciques,
les dissections ultérieures n’ont porté que sur
ces organes. Après dilacération dans une boîte de
Pétri, les muscles ont été examinés
à la loupe binoculaire(x
6).Analyse des données
La saisie et le traitement des résultats concernant
les crabes ont été effectués
à l’aide du logiciel EPIINFO.Un
fichier a été créé rassemblant, pour chaquecrabe, l’espèce, le sexe, le lieu et la date de récolte
et le nombre de métacercaires observées. L’analyse
statistique a été réalisée en utilisant le test non paramétrique
de Kruskall-Wallis.
RÉSUGTATS
Recherche des cas de paragonimose humaine
Dans le bassin de la Sanaga, aucun cas de paragonimose
n’a été enregistré depuis 1985. A Mbalmayo
et Enongal, respectivement
2 et 10 cas ont été diagnostiquésentre 1980 et février 1993. Entre mars et
septembre 1993, 31 examens d‘expectorations ont été
effectués
à Mbalmayo et 55 à Enongal. Ces examensn’ont pas permis de dépister de cas de paragonimose.
Enfin, 30 personnes se sont présentées aux consultations
de Falassi et de Bikpwae-Essazoe. Aucun oeuf
de douve n’a été trouvé dans leurs expectorations.
Un
examen coprologique a été réalisé chez200 enfants de Bikpwae-Essazoe. Des oeufs de
Paragonimusont été trouvés chez une fillette de
9 anset chez une jeune fille de 15 ans (respectivement
8et 5
oeufs). Leur taille moyenne était de 89,s sur57,5 pm chez la première et de 91,7 sur 54,s pm chez
la seconde.
Recherche des animaux hôtes définitifs potentiels
de
Paragonimus sp .Aucun des animaux disséqués dans les bassins du
Nyong (4
Nandinia binotata et 1 Cercopithecusaethiops)
et du Ntem (4 Viverra civetta, 2 Crossarchusobscurus,
1 Nandinia binotata et 5 Cricetomys emini)n’hébergeait de douve pulmonaire.
A Bikpwae-Essazoe,
ou à proximité, nous avonsrecueilli des selles de porcs, 78; de chiens,
4; de chats,2; et de civettes,
4. Seuls trois oeufs operculés, dontla taille moyenne était de 94,4 sur 58,7 pm, ont été
observés dans une selle émise par un chien.
Récolte
et examen des crabesSur les 1 373 crabes récoltés, 1
285 (93,6 070) appartiennentà
l’espèce Sudanonautes africanus. Respectivement,38 et 50 spécimens de
S. granulatus etS.
aubryi constituent le reste des récoltes. S. granulatusn’a pas été trouvé dans le bassin du Nyong.
894 crabes ont été disséqués (tableau
I). Des métacercairesont été trouvées chez 105 crabes. Dans le
bassin de
la Sanaga, aucun crabe n’était parasité. Enrevanche, dans les bassins du Nyong et du Ntem, respectivement
11,l et 16,6
Yo des animaux hébergeaientdes métacercaires. Cette différence est significative
(p
< 0,05). Des variations importantes existent danschaque bassin. Ainsi, dans celui du Ntem, 17,l
070 descrabes en provenance de Bikpwae-Essazoe étaient parasités,
tandis qu’aucun de ceux pêchés
à Ako’Okas nel’était. Dans le bassin du Nyóng, les taux d’infestation
à
Nnemeyong-Obang, Falassi et Nkolsoumou étaientrespectivement de 16,2, 8,9 et
O 070.Dans le bassin du Nyong, les taux d’infestations de
S.
africanus et S. aubryi ne diffèrent pas significativement.Dans celui du Ntem, les faibles effectifs de
S.
aubryi et S. granulatus ne permettent pas de comparerles taux d’infestation entre espèces.
Tab. I.
- Nombre de crabes diss&qués et taux d’infestation (TO avec des métacercaires de Paragoniniidaeau sud-Cameroun en fonction de I’espke et du bassin.
t
u.r
BULLETIN DE LA SOCIÉT~D E PATHOLOGIE EXOTIQUE
167i
L’évolution des taux d’infestation selon la saison
n’a été analysée que chez
S. afrìcanus à Bikpwae-Essazoe. Une baisse significative de ces taux est notée
entre février-mars (37,l
Yo> et avril-mai (18,9 To),mais pas entre avril-mai et juin-juillet (13,O
Yo).Parmi les crabes infestés, 82
To présentaient moinsde 5 parasites. Le nombre maximal de métacercaires
observé dans un crabe est 42. Le nombre moyen de
parasites par crabe infesté est de 3,$ dans le bassin
du Nyong et de 3,3 dans celui du Ntem (différence
non significative). Pour
S. afrkanus, l’intensité d’infestationest de 3,5 métacercaires par crabe infesté.
Le nombre maximal de métacercaires observés chez
S.
aubryi est de 2. Trois spécimens de S. granulatusont été trouvés parasités respectivement par 1, 2 et
9 métacercaires.
La grande majorité des métacercaires ont été trouvées
enkystées. Le kyste, arrondi, est composé de
deux parois séparées par
un espace clair. Les mesureseffectuées sur 156 métacercaires trouvées chez
S. africanusà
Bikpwae-Essazoe ont montré que le diamètremoyen des kystes est de 456,6 pm. Une fine enveloppe
blanche et de forme plus
ou